Cap sur la ville de Hem, à côté de Lille, avec Mathieu Tarnus, le président fondateur de Sarbacane. Il raconte comment on peut développer une startup familiale et tech dans la région lilloise.
En partenariat avec Extra-Muros, le podcast qui met en lumière les histoires de dirigeants qui ont choisi de développer leur business en dehors de Paris. Ce podcast est produit par Newton Offices. Voir d’autres épisodes
Retranscription de cet épisode :
Guillaume Pellegrin (GP) : Bonjour Mathieu, bienvenue, ravi de t’accueillir. Tu es le premier invité pour ce podcast Extra-Muros. Je ne sais pas si c’est un hasard, les équipes ont bien travaillé, mais ravi d’accueillir quelqu’un qui est tombé dans la marmite de l’entrepreneuriat quand il était petit, un peu comme moi je crois. Tu es la troisième génération d’entrepreneurs dans le Nord si mes infos sont bonnes. C’est le point commun que l’on a, sauf que moi c’est le sud. Tu es le fondateur de Sarbacane. Sarbacane, ça fait quoi ?
Mathieu Tarnus (MT) : J’ai co-fondé Sarbacane avec mon père, la deuxième génération. Quand on parle de trois générations d’entrepreneurs, ce n’est pas trois générations qui ont fait le même métier. Mon grand-père était entrepreneur dans le bâtiment et dans la sidérurgie. Mon père a opté pour un chemin un peu différent, celui de la micro informatique. Il a créé sa boite en 1982 quand j’avais 2 ans. Il a toujours développé et fait grandir cette boite. En 2001-2002, quand j’étais encore étudiant, on décide de lancer un projet ensemble : Sarbacane. Un produit qui permet de gérer tout ce qui est campagne email, campagne email marketing. Donc on est né en 2001 sur la base de cette idée, celle que les entreprises auront besoin de l’email demain pour communiquer. Ça paraît fou de dire ça, aujourd’hui, 20 ans après, mais à l’époque c’était assez innovant comme moyen de communication. On était encore beaucoup avec le papier et le téléphone. Et 20 ans après on est toujours là, on a beaucoup fait grandir ce projet et cette équipe. Notre métier aujourd’hui, c’est toujours de gérer ce qui est campagne marketing, un peu plus largement que simplement un email marketing, dans le digital pour les entreprises. On « root » tout ce qui est campagne email et SMS. On fait aussi du chat pour les conversations instantanées sur le site internet de nos clients. On fait également de l’envoi transactionnel, on fait tout ce qui est marketing automation, etc…
GP : C’est une start-up qui a 20 ans en fait…
MT : On nous compare à une startup parce qu’on a toujours un développement d’entreprise en mode startup. Mais effectivement, on a 20 ans donc on s’éloigne tout doucement du concept de démarrage rapide. On a eu un des un démarrage plutôt lent finalement quand on regarde l’histoire de Sarbacane au début des années 2000. On a même commencé très lentement. L’accélération, elle s’est plutôt faite autour des années 2000,
GP : Sarbacane c’est un hommage à Francis Cabrel ?
MT : Pas du tout. Pour l’anecdote, on avait essayé de le contacter en 2009 pour un salon pour pouvoir faire un partenariat autour de sa musique. Ça n’a aucun lien avec Francis Cabrel, c’est un nom original qu’on a trouvé au démarrage pour caractériser l’envoi ciblé. On a trouvé sympathique l’association avec le mot. Je suis plutôt content de ce nom car c’est quelque chose qui nous a toujours différencié des concurrents. On est resté dans la tête des gens.
GP : Pour le développement à l’international c’est quelque chose qui vous aide aussi ou c’est trop français ?
MT : C’est complètement français, ça ne veut rien dire en dehors de nos frontières donc pour l’international, on est deuxième marque qui s’appelle Mailify.
GP : Pour ceux qui sont pas du tout du secteur et qui ne sont pas familier avec marketing, en passant par sarbacane quel est l’avantage ? On arrive mieux à trouver des clients ? On arrive à mieux communiquer avec nos cibles ?
MT : C’est ça, on arrive à mieux communiquer. Parce que, nous, nous ne fournissons pas de fichier.On est là pour se positionner entre une entreprise qui a des clients / prospects, qui a ses propres fichiers et ses destinataires. On est une plateforme qui permet de gérer la création du message, l’administration des contacts, la gestion de la campagne, l’envoi et les statistiques. On vient pas du tout fournir de data de clients. C’est avant tout un outil à destination des services de communication et marketing qui ont déjà leurs propres bases de données et qui souhaitent communiquer vers à celle-ci.
GP : Ce que je comprends, c’est que par rapport à des concurrents, vous êtes plus sur le conseil c’est ça ? Vous accompagnez davantage vos clients et ce n’est pas juste un outil ?
MT : Exactement, l’e-mail marketing quand on a démarré, c’était un pari. Aujourd’hui, c’est un marché colossal, c’est plusieurs milliards dans le monde. Donc c’est un marché qui est très segmenté, très fragmenté en termes d’acteurs. Vous avez ceux qui ciblent le small et sale service. Des clients qui vont utiliser tout de A à Z, se former à l’outil, après les bonnes pratiques que l’on peut faire. Vous avez des solutions à destination des grands comptes comme Adobe, Sales Force avec des très gros tickets pour les très grosses entreprises. Et entre deux, vous avez des entreprises comme la notre, qui fournissent une solution hybride, une solution clé en main. Une plateforme sur laquelle on peut être autonome mais sur laquelle on peut avoir besoin d’être accompagné dans sa stratégie, sa façon d’utiliser le produit… Je fais souvent l’analogie avec Photoshop. C’est une super boite à outils, un super logiciel mais maintenant, c’est pas parce que vous achetez une licence Adobe Photoshop que vous allez devenir un talentueux graphiste. Il vous faut, à la fois apprendre à utiliser l’outil. Même si maitriser toutes les fonctionnalités ne fait pas de vous un super graphiste. Il faut une fibre, une sensibilité. C’est ça que l’on apporte à nos clients. Tout ne s’improvise pas, même en étant directeur marketing ou chef de projet marketing. On s’improvise pas talentueux email marketer. Nous, on est là pour apporter nos conseils et notre expertise à tous nos clients qui démarrent ou qui souhaitent tout simplement s’améliorer dans leurs envois. C’est un mix software et conseils, ce qui fait la différence fondamentale de Sarbacane avec nos concurrents.
GP : Pour mieux découvrir l’ADN de Sarbacane, tu es évoqué la co-fondation avec ton père. Cet esprit familial, c’est quelque chose qui reste chez vous. C’est quoi finalement l’ADN Sarbacane aujourd’hui ?
MT : L’ADN familial dure toujours même si mon père n’est plus là depuis 2013. Je continue l’aventure sans lui après son décès. Ça reste une entreprise très familiale dans son management. Je possède la majorité du capital, je suis très présent au sein des équipes. L’entreprise a beaucoup grandi ces dernières années.
GP : Vous êtes combien ?
MT : On est a peu près 150. La partie à Hem, le siège, on est une petite trentaine. On a des équipes à Barcelone et en Allemagne avec une société qu’on a racheté. Au final, on est entre 140 et 150. Ça reste une entreprise à taille humaine et je continue avec les équipes à avoir un management de proximité. En ce sens là, on peut dire qu’on est encore une entreprise familiale, on se connait tous, on s’apprécie. C’est la tribu Sarbacane, c’est le nom de cette communauté. On aime faire partie de la tribu.
GP : J’imagine que tu as pu te réorganiser après la disparition de ton père et en faire une force et rebondir ?
MT : Bien sûr, quand j’ai créé Sarbacane, on a lancé pas mal de chose ensemble avec mon père. Il avait déjà sa boite et plusieurs projets lancés. On a participé ensemble à plusieurs aventures entrepreneuriales ensemble. Sarbacane, j’avais déjà repris et j’étais seul aux manettes avec qu’il parte. Ça n’a pas été un souci mais ça a été de gérer ses autres affaires qu’il a laissé après son départ, un peu brutal après une maladie. C’est plus ça qui était perturbant dans l’organisation. Pour Sarbacane, je m’étais déjà organisé, j’avais déjà une équipe et un board qui est hyper serré et avec qui on est vraiment en phase sur le développement de la boite.
GP : J’ai l’habitude des business familiaux où tu es tellement passionné que le repas du dimanche peut être assimilé à une réunion… Ça peut être un inconvénient pour certains. Mais en tout cas, c’est un énorme avantage car tu es jamais seul. Ce thème de la solitude de l’entrepreneur, quand tu es en famille, c’est une force. Je comprends que tu t’es entouré d’une super équipe. J’ai aussi des exemples familiaux qui sont malheureusement plus là. Mais parfois, quand tu es coincé, malgré l’aide autour de toi, tu peux te poser la question de « il aurait fait quoi ? ». Je sais pas si c’est quelque chose qui t’aide aussi ?
MT : C’est un peu particulier car c’est une entreprise familiale mais c’est pas une transition en fin de carrière. C’est un rapprochement sur un projet qui naissait à un moment donné. Faut dire ce qui est, dans l’entreprise qui était le berceau de Sarbacane, on était pas vraiment dans une situation idéale. C’était le début de l’année 2000, juste après la bulle internet. On venait de fermer deux startups qui n’avaient pas marché. On se retrouvait 25 dans un bâtiment de 2000m2. Il fallait vraiment se retrousser les manches pour se réinventer. C’est là que Sarbacane est né avec d’autres belles idées qu’on a créées en même temps. Je me souviens vraiment de chaque moment où on se retrouvait à deux, à 20, ou le samedi et le dimanche. Le fait d’être ensemble, ça nous a soudé. Ça nous a permis d’accoucher de ces superbes produits devenus des entreprises. Quand on se retrouvait à table, avec mon père, on se mettait sur le coin de la table et on bossait et ça agaçait un peu.
GP : Cette société, ces locaux, sont volontairement chez vous, dans votre région. C’est quelque chose qui compte pour toi de développer l’entrepreneuriat, l’emploi localement ?
MT : On a commencé dans les locaux de l’entreprise qu’avait fondé mon père avant. Ça s’est fait par opportunité et par simplicité pour Sarbacane. Finalement on est resté dans ces bureaux, 20 après on y est toujours. On a tout remis au goût du jour car on départ on était une toute petite activité. Et petit à petit, on s’est serré dans les bâtiments puis on a récupéré l’ensemble du bâtiment pour nous, et on a tout rebrandé à la sauce Sarbacane.
GP : Justement, c’est quoi cette sauce Sabarcane ?
MT : C’est un esprit, il faudrait plutôt interviewer les membres de la Tribu. On s’apprécie tous, on est sensible au recrutement. Trouver les personnes qui vont coller avec l’ADN de Sarbacane. Ça crée une belle famille. Maintenant, on est né dans ce bâtiment avec une poignée de personnes, maintenant on est plus de 100. Pour répondre à la question de « pourquoi on a développé ici ». C’est parce qu’à Hem, c’est là qu’on est né et parce qu’on a un business qui se développe à distance. On n’est pas dans la nécessité de rencontrer nos clients et partenaires, si besoin on se déplace. Pour la région nord, on est à 15min de Lille. Le transport est plus facile que sur Paris, on arrive avec plus de km en moins de temps. Avec le développement d’internet et du digital, on peut carrément tout faire à distance. On gère même plusieurs boites et plusieurs bureaux, sans aucun souci. C’est devenu une culture un peu omniprésente pour beaucoup d’entreprises, notamment avec ce confinement.
GP : Pour en avoir discuté avec certains de tes équipes, c’est un cadre assez bucolique, très agréable. Il parait qu’il y a même une crèche.
MT : On est sur une butte, à 15m de hauteur, 4 hectares de verdure. C’est super. On entretient ça avec amour car c’est un grand plaisir de pouvoir bosser dans cet environnement. Tout ça, ça ne s’est pas fait immédiatement. La crèche est arrivée il y a une dizaine d’années. Le terrain autour a été en friche pendant des années. Le bâtiment a été construit en même temps que Sarbacane. Tout a un peu basculé en 2010, on a investi pour avoir de beaux espaces verts. Le réaménagement complet des locaux, on a vraiment tout casser et tout refait de a à z. On a construit une belle entrée pour le bâtiment. Ça date de 2017 donc c’est des choses qui se font petit à petit au gré de notre développement de nos moyens.
GP : Vous avez des locaux qui vous ressemblent et vous n’avez pas attendu la crise pour avoir un espace de travail agréable. J’imagine que ça vous a aidé à recruter, à fidéliser ?
MT : Absolument, on a une tribu qui est très fidèle à Sarbacane. Je pense que je me suis beaucoup inspiré de ce que j’ai vu assez vite aux US. Je me souviens avoir fait une visite de Apple et Google. Le fameux Google Plex qui n’est pas exactement celui qu’on voit dans le film. Parce que Ça bosse un de plus que dans le film. Mais j’ai pu voir quand même cette notion complexe d’installation mais également de services à côté, adossé à cet environnement. Ça m’a beaucoup inspiré. Ça aussi, c’était des choses sur lesquelles mon père était sensible aussi donc on a fait les choses ensemble. Je crois que j’en ai remis une couche assez forte. J’aime beaucoup me dire que si je suis bien, que mes équipes sont bien. J’ai beaucoup de plaisir à les voir s’installer un peu partout, bosser, discuter, se balader dans les jardins pour pour parler boulot, peut-être pas que.
GP : On a réalisé après confinement que c’était aussi pour ça que serve le lieu de travail, c’est pour créer du lien en fait.
MT : On l’a découvert. On n’était pas forcément très télétravail avant cette crise. Un tout petit peu pour ceux qui habitaient loin mais la culture c’est plutôt tous tout ce qui était investi dans ce campus, au service de la tribu. Si vous n’êtes pas là, ça ne sert plus à grand chose.
GP : C’est quoi l’équilibre chez vous de télétravail et présentiel ?
MT : On est sur une à deux journées de télétravail par semaine et le reste en présentiel. Mais ça a été dur de faire revenir les équipes parce que ce n’est pas forcément le lieu de travail qui a été un problème, c’est les transports. Les problématiques de transport, les bouchons, sont revenus d’eux-mêmes que ceux qu’on avait avant la crise. C’est marrant parce qu’on est content de sortir de cette crise sanitaire mais on est presque un peu nostalgique de ce que ça a pu amener en termes de transports.
GP : Ce sont des thèmes dans les business que je développe qui nous intéresse beaucoup. Finalement dans la ville de demain, où est-ce qu’on habite, où est-ce qu’on travaille, est-ce qu’on travaille du même du lieu où on habite ou depuis un tiers-lieux…Une nouvelle ère s’ouvre d’ailleurs. En tant qu’acteur de l’internet, tu as permis tout ça, tu disais que vous arriviez à bosser à distance et à piloter des business l’étranger…
MT : Oui, c’est vraiment une découverte. Je pense que c’est un test grandeur nature (avec le covid) que l’on aurait jamais pu mener je pense. Beaucoup d’entreprises se sont découvertes sur cette crise. Le télétravail, c’est pas nouveau, ce n’est pas né avec le covid. Ce sont des choses qui existaient déjà depuis longtemps mais, dans le collectif des dirigeants, c’est quelque chose qui n’était pas forcément très positif pour beaucoup d’entrepreneurs, d’entreprise ou de dirigeants d’entreprise. Je pense que c’était quelque chose qui ne s’adaptait pas à leur modèle, ou tu ne souhaitais pas tout simplement par crainte que les collaborateurs ne travaillent pas. Je pense qu’on a tous découvert beaucoup de choses à propos de ce télétravail avec cette crise. Ça, c’est le bon côté, c’est le fait d’avoir pu tester en grandeur nature le travail à distance. Après, il ne faut pas non plus basculer dans l’extrême et être en full remote. Certaines startups n’ont pas non plus attendu le covid pour naître sur ce modèle du full remote. Moi, je ne trouve que le juste milieu, c’est-à-dire offrir le meilleur confort ici dans nos locaux et également sur le quotidien de nos collaborateurs le transport… il faut trouver l’équilibre.
GP : On n’a pas mal parlé de tes racines. J’aime bien l’expression des racines et des ailes et je crois que du coup ses racines locales ne vous empêchent pas de regarder global et d’avoir des ambitions. C’est quoi justement donc ses ambitions aujourd’hui pour le groupe Sarbacane ?
MT : On n’a jamais eu de frein à notre développement en étant à Hem. On a un petit bureau à Paris mais un tout petit bureau, c’est une antenne d’une boite qu’on a acheté l’année dernière. On a des équipes qui sont partagées à Paris et Hem.
GP : Maintenant, ils préfèrent être à Hem maintenant ?
MT : Ils aiment bien venir. Ils étaient tous réunis la semaine dernière pour les 20 ans du groupe. On a fait une grande fête, c’est très agréable de venir forcément pour eux et c’est très agréable de les avoir. Mais bon, c’est bien aussi d’être sur Paris. Il y a des avantages et des inconvénients à tout. Pour la France, aucun souci pour vendre, pour développer, pour rencontrer les clients et les partenaires en étant ici. Pour l’international, tout se fait à distance. Pas besoin d’être parisien ou lillois pour racheter des entreprises. On a racheté une deuxième boîte en Allemagne. Pendant longtemps, c’est aussi le développement organique du groupe, on s’est dit « il faut être présents à différents endroits pour développer ». On a historiquement une finale à Barcelone. On a une dizaine de personnes dans cette filiale. C’était au départ pour développer la marque en Espagne et sur toute la zone latin. Depuis, on s’est rendu compte qu’on peut piloter n’importe quel pays de n’importe où. Donc cette entité espagnole à Barcelone, c’est plus un « hub » pour trouver des compétences. C’est une entreprise qui ne travaille pas uniquement pour les développer l’Espagne mais qui travaillent pour le développement du monde entier, y compris sur des projets français. On essaie de croiser et de mélanger un peu toutes ces compétences et tous ses savoir-faires sans tenir compte du territoire.
GP : Donc pour ton métier, ce n’est pas un handicap que de ne pas être à Paris en France ?
MT : Non non, parce que nous on vend en ligne, on vend à distance, avec le téléphone. Alors c’est sûr que pour une entreprise qui travaille sur du concret, de la production… des choses palpables, c’est plus logique d’être à proximité de son client. Nous, on vend de l’immatériel, du soft. Je me souviens, il y a 20 ans, il fallait beaucoup plus aller chez les clients pour lui expliquer, pour l’installer. Aujourd’hui, dans nos métiers, dans l’informatique, dans l’univers du marketing, de plus en plus de logiciels se gèrent directement par l’utilisateur avec du conseil qui peut se faire à distance ou en présentiel. Même si c’est en présentiel, on a des formateurs chez Sarbacane, ils se déplacent de temps en temps chez clients mais c’est quand même assez rare.
GP : Pour terminer, on a l’habitude de poser une série de questions. En tant qu’entrepreneur, une question simple, qu’est ce que tu aurais aimé savoir plus tôt ?
MT : Je pense que je vais transposer cela sur ce qu’on aurait dû faire est ce que j’aurais voulu faire pour Sarbacane plus tôt. C’est le développement international, on y a été trop tard. Aujourd’hui, on a une forte notoriété ici en France mais on était inconnu jusque-là en Europe. Quand on a commencé à démarrer, je parlais d’Espagne tout à l’heure, c’était il y a dix ans en 2010, c’était déjà trop tard. Il aurait fallu faire ce même travail d’évangélisation, de présence, dès le démarrage de ce canal, de cet outil de communication dans les années 2000. Et il aurait fallu faire dans plein de pays différents en même temps. C’est pas grave, on rattrape notre retard. On s’est bien rendu compte qu’aujourd’hui la croissance organique d’une nouvelle marque quand le marché est déjà pris par d’autres marques, c’est beaucoup plus compliqué. Donc c’est l’international que l’on aurait dû attaquer plus tôt.
GP : Une mentalité française tu penses ?
MT : Un peu mais aussi, je le répète, on est né dans un groupe qui avait déjà 20 ans, qui a eu des expériences avec l’international et je pense qu’il y a eu un petit peu un syndrome de reproduire les échecs du passé. Du coup, on s’est trop longtemps concentré sur le développement de la France. La France, c’est déjà un gros marché en termes de développement interne, avec une profondeur qui permet de faire déjà de belles boîtes. On n’est pas allés si vite en dehors des frontières, on aurait dû. Après, je ne le regrette pas, ça fait partie de notre histoire et on rattrape très vite leur retard. Je pense que maintenant on est un groupe repère.On doit avoir 35 % de notre business qui est à l’international. C’est pas encore assez, ça fait quelques années que j’ai envoyé comme signal aux équipes qu’il fallait très vite qu’on passe à 50% en France, 50% international. Puis, si même la France peut devenir une minorité demain, ce sera une bonne chose.
GP : Ou un conseil peut-être pour les entrepreneurs ?
MT : J’ai l’habitude de dire qu’il faut s’intéresser à tout. J’ai tout fait chez Sarbacane au départ, j’ai fait du dev, du commerce, du service client, de la compta… C’est important d’être touche-à-tout, ça permet, quand on fait grandir les équipes et quand on recrute des gens qui font ces choses à votre place, de leur faire comprendre que vous vous comprenez aussi ce qu’elles font. Ça permet de ne pas se faire avoir de temps en temps, ça c’est pour la partie dev… Au-delà de ne pas se faire avoir, c’est aussi montré qu’on n’est pas un dirigeant qui maîtrise juste un périmètre et qui recrute d’autres ressources à côtés pour gérer ce qui ne l’intéresse pas. Ça permet d’avoir vraiment des confrontations, des échanges qualitatifs avec les équipes quand on a fait avant elle. Bien sûr, quand on s’entoure de gens qui sont spécialisés dans un domaine, ça nous élève parce qu’on se rend compte très vite que ce qu’on a fait pendant deux ou trois ans, il y a deux personnes qui peuvent le faire beaucoup mieux que vous. Et c’est là qu’on comprend un peu de hauteur et on avance plus vite. S’entourer des bonnes personnes, des bonnes compétences mais aussi, et c’est très utile, savoir mettre les mains dans le cambouis dès le départ. Aujourd’hui, je trouve qu’avec tout ce qui se passe autour du développement des startups et du financement, on a des entreprises qui vont parfois vite, même trop vite, et dont les dirigeants n’ont même pas le temps de comprendre vraiment ce qu’ils sont en train de créer et de mettre les mains dans le cambouis. Je trouve que c’est essentiel dans le démarrage d’une entreprise.
GP : Comment tu finances ton développement ?
MT : On l’a toujours autofinancée. On a commencé avec pas grand chose et c’est pour ça qu’on a pas été très vite comme je le disais. Il nous a fallu dix ans pour commencer à avoir une taille critique. Notre premier million, on a dû le faire au bout de 5 ou 6 ans, ça a été long. Donc on s’autofinance depuis le début. Depuis, on a un fond puis un autre fond qui est venu remplacer le premier l’année dernière. Ce n’est pas vraiment pour financer notre croissance mais c’est plus pour s’ouvrir à d’autres façons de développer l’entreprise. Je parlais de croissance externe tout à l’heure, ça nous aide beaucoup d’avoir des gens vraiment aguerris à ces notions. Ça permet de moins se tromper. Ça nous ouvre sur des opportunités. Demain si on a besoin d’accélérer sur le financement, on va déjà avoir mis un pied dans tout ce qui est partagé : capital, board, comités stratégiques… Ce sera la continuité. Donc le financement, c’est plutôt beaucoup en auto-financement. Il y a beaucoup de boites dans le secteur qui sont développés ainsi et depuis le départ.
GP : Qui sont encore là et peut-être moi dans cette mode de lever des fonds en tout cas. En tout cas, beaucoup combiner une levée de fonds avec un regard sur le retour sur investissement et la rentabilité.
MT : Ma génération d’entreprises et d’entrepreneurs, dans le début des années 2000, j’en connais beaucoup qui sont restés longtemps dirigeant de leur boîte et actionnaire majoritaire de la boîte. Parce que c’était comme ça qu’on faisait. Après on était juste après la bulle internet, on était dans un moment où les fonds n’investissaient plus du tout sur de la tech. Il y avait une très grande frilosité de ce secteur. Je vais pas dire que c’était la belle époque mais les développeurs n’étaient pas aussi recherchés qu’aujourd’hui. Aujourd’hui, il y a une vraie guerre pour tout ce qui profils ingénieurs. À l’époque, il y a eu un délestage assez massif de beaucoup de ressources, y compris en développement de la part de grosses agences. Donc c’est ça qui a permis de détendre un petit peu le marché. Ce qui est marrant c’est que parmi toutes les entreprises qui sont nées à cette époque là, j’en connais encore beaucoup soit qui viennent de céder leur entreprise car ils ont la cinquantaine et qu’ils réfléchissent à la suite, mais c’étaient des gens qui ont gardé leur entreprise pendant 15-20 ans en étant toujours aux manettes et toujours majoritaires. C’est assez atypique parce que c’est vraiment une forte disparité entre les entreprises qui sont créées à cette époque là et les autres entreprises d’aujourd’hui, depuis 2017 à nos jours, qui sont très très vite financés par des fonds extérieurs.
GP : Que ce soit toi ou les sociétés de l’écosystème lillois, la question que je me pose c’est : est-ce que ça rend plus difficile d’être dans cette région là ?
MT : C’est pas plus difficile, au contraire. À Lille, c’est un peu particulier parce qu’on a un très fort écosystème de startups. Je sais pas si tu connais, mais on a Euratechnologies qui est juste à côté de Lille et qui est assez réputé. Un incubateur / accélérateur et hébergeur de beaucoup de startups sur la région. C’est un projet qui était mené par la région pour redynamiser une zone. Ça a été un énorme succès. Succès qui a été pas mal inspirant pour d’autres projets en France. Donc à Lille, on a un joli tissu de startups et d’entreprises de technologie. On a une très belle université aussi, on a des grosses entreprises familiales qui investissent elles aussi beaucoup dans les nouvelles technologies. Soit financent ou participent au développement commercial de business ici. Pour les entrepreneurs qui ont démarré ici, j’ai pas la sensation que ce soit un frein le fait d’être ici plutôt qu’à Paris. C’est sûr que si on cible les grands comptes, les sièges de grosse boîte, forcément c’est plus simple si on est proche de Paris. Il y a une densité beaucoup plus forte de sièges de boîtes sur la région parisienne que sur Lille. On a déjà de quoi faire sur Lille, on a des belles boîtes. Et Paris est à seulement une heure…
GP : Pour terminer, quelques petites questions sur ta région… Qu’est ce qui caractérise ta région ? Qu’est ce que tu aimes chez toi ?
MT : Sans partir dans les clichés, on dit beaucoup de choses sur les gens du nord mais c’est cramé de réalité, c’est la convivialité dans l’ensemble. Une région où c’est assez simple de rencontrer et de partager et c’est très agréable. Ça, c’est pour le côté humain, moi je vais pas parler du climat parce que il fait aussi beau aussi mauvais qu’à Paris. J’ai toujours vécu dans le nord, je n’ai pas eu l’occasion de vivre dans d’autres régions de France, mais j’y suis bien. Et même si c’est tout en haut de la France et que quand on va dans le sud, soit pour la mer ou pour skier, ça paraît le bout du monde… On est contents de revenir et de se remettre au travail.
GP : Ça, c’est la question du marseillais, tu supportes une équipe en particulier ?
MT : Je suis pas très foot mais naturellement je suis, avec la performance de l’an dernier, je suis forcément un petit peu Lillois. Donc je suis un peu le LOSC, à l’époque où l’on avait pris quelques places pour l’entreprise. Donc, je ne suis pas un passionné de foot mais s’il fallait en citer qu’une, ce serait le LOSC bien sûr.
GP : merci beaucoup Mathieu, merci pour ton temps, bravo pour ce parcours et bonne chance pour la suite.